C’est une photo simple et sans artifice qui montre trois plans bien distincts par la superposition des couleurs : du blanc, du noir, des nuances de gris, en bas sur la mer, le blanc du ciel au dessus de la ligne d’horizon, puis le bleu turquoise du ciel.
Ces trois plans approchent la règle des tiers. Seul le ciel occupe plus de place. Cet aspect est accentué par le choix du format “portrait” qui renforce la sensation d’allongement.
Les nuages situés dans un alignement oblique forment une sorte d’écriture symbolique, souple et arrondie, éthérée. Ces courbes contrastent avec la ligne d’horizon rectiligne et les lignes géométriques, bien délimitées, des voiles et de la coque du bateau.
La prise de vue, en contre-jour, met en valeur le bateau, placé sur le point d’or de l’image.
Elle annule la distance entre le lecteur et le bateau qui occupe peu de place mais est rendu très présent.
La superposition des plans, la prise de vue à contre-jour, la lumière ardente, l’emplacement du bateau, composent une image forte et obligent le regard à s’attarder sur le sujet : le bateau.
Le bateau semble immobile. Tout est stable, l’immensité de la mer, l’infini du ciel, pourtant on imagine que tout est mouvant : le mouvement de l’eau, du vent, des voiles.
La scène est insolite :
Le bateau invite au départ, au lointain, au voyage, au détachement, et pourtant l’esseulement du bateau, les couleurs tranchées donnent une ambiance d’étrangeté et de fixité.
La mer est un miroir sans limites où les éclats de lumière se choquent et s’entre-choquent. Cela crée une ambiance presque “électrique” par l’effet de vibrations qui rediffusent la lumière tous azimuts.
Cette photo offre une palette de sensations – calme et tension à fleur de peau – avec peu d’éléments : parcimonie, légèreté, en contraste avec virulence de la lumière, puissance des éléments. Effet doux amer ou d’août à mer.
J’imagine le bateau se frayer un chemin à travers une mer de cailloux blancs argentés. Est-il en danger, est-il figé, bloqué, encerclé dans la glace ? ou glisse-t-il serein dans une scène onirique, en équilibre entre la profondeur abyssale de la mer et la gigantesque étendue du ciel ?
Vision qui pourrait être glaçante (cailloux, glace pillée, infini) ou vision de légèreté, de douceur, où tout est en liberté de mouvement et de déploiement.
Tout dépend de l’état d’esprit. La poésie embellit le monde, laisse le regard en suspens dans ce que le photographe nous a rendu accessible mais insaisissable.
Le domaine du rêve propre aux humains.
David Foenkinos dans “Vers la beauté” dit : “Au fond, ça sert à ça, la photographie. C’est du réel, mais on peut tout inventer”. P42 ed Folio
Par ses choix techniques, le photographe nous transporte dans son univers à cet instant, donne de l’intensité à cet instant, et enchante nos souvenirs qui se rattachent et se mêlent à ce que nous imaginons de ce moment.
Suzanne Bissardon , OIL